- Le programme Monnaie et fiscalité incitatives est constitué à ce jour d’un atelier-club en cours de constitution.
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Rappel du texte fondateur de Prospective 2100 pour ce programme séculaire mondial
La fiscalité du 21e siècle ne peut plus se fonder sur les mêmes principes qu’autrefois. Elle est obligée de s’internationaliser, pour respecter une égalité des chances des acteurs économiques. L’harmonisation fiscale entre les états, déjà en projet, est un facteur puissant d’évolution. Elle entraîne derrière elle une harmonisation des comptabilités, des déclarations, et un travail de traduction en toutes langues menant à une simplification des impôts usuels. En plus, dès lors qu’on se trouve dans un univers de petites entreprises, avec un Internet généralisé, la technique fiscale doit aussi s’adapter dans ses modes de calcul, de prélèvement et de vérification. Mais le changement le plus important concerne les principes sur lesquels s’appuie l’impôt. Ils ne peuvent plus être, comme par le passé, exclusivement régaliens. Il leur faut entrer dans l’âge de la rationalité. Autrement dit, justifier l’existence de chaque contribution par les effets qui en sont attendus, non seulement du côté des rentrées fiscales, mais aussi par l’incitation qu’elle imprime aux acteurs économiques, et par les choix démocratiques qu’elle permet d’exprimer. Il faut donc imaginer une multiplication de financements parafiscaux d’agences (de l’environnement, des économies d’énergie, de la métrologie…) correspondant aux programmes précédents, et aussi un relatif libre choix du contribuable pour l’affectation du produit de certains impôts (à des organismes de solidarité humanitaire, d’enseignement ou de recherche technique…). Beaucoup de ces organismes et agences seront transnationaux.
La fiscalité est un sujet permanent de controverse. Elle touche directement l’intérêt des entreprises et des particuliers. Elle donne lieu à de multiples argumentations intéressées. L’habitude est de hausser le ton, plutôt que de chercher à s’entendre sur la définition d’une logique. De la confrontation des jeux d’influences des “lobbies” n’émerge pas la rationalité, pas plus que le combat des chefs ne suffisait à définir une société de droit. Il est donc bien difficile d’ouvrir un chemin à la Raison dans cette forêt de discours tendancieux.
Néanmoins, l’harmonisation internationale des systèmes fiscaux s’impose comme un horizon nécessaire. La compétition économique ne peut être équitable sans cela. Et les arguments des entreprises protestant contre les distorsions de la concurrence ne peuvent pas être ignorés. Chaque année, le rapprochement progresse, petit à petit. Mais pour aller vers quoi ? Ce programme voudrait d’abord donner corps à une réflexion de fond sur la nature même de la fiscalité, et sa place dans la société.
L’observation attentive du comportement des entreprises montre à quel point leurs décisions sont en permanence guidées par une logique fiscale. En regardant le détail des opérations et la logique à laquelle elles obéissent, on a l’impression d’une distorsion de la valeur des choses causant une distorsion des comportements. Plus encore que la masse prélevée sur l’économie, c’est la déviation des décisions élémentaires qui semble le facteur dominant. Des flux considérables vont s’investir ici où là pour gagner quelques pour cent d’impôt. De grandes sociétés de conseil internationales ont pour métier principal l’optimisation fiscale des grandes entreprises.
Les systèmes fiscaux n’ont pas encore atteint leur maturité. Ils frappent les contribuables en proportion des richesses qu’ils créent (valeur ajoutée, bénéfices, revenus), comme le seigneur féodal allait chercher le grain là où il était entreposé. Comme l’impôt est, depuis des millénaires, une manifestation centrale de pouvoir, il s’est organisé en fonction du confort du pouvoir : comment prélever les sommes nécessaires avec le moins d’effort possible et en surmontant le moins de résistances possible du côté des contribuables ?
Une telle logique valait pour l’entretien d’une caste militaire, préposée à la protection vigilante de l’agriculture contre les brigands et les envahisseurs. Elle ne vaut déjà plus dans le système industriel, et encore moins dans l’économie du signe où nous sommes entrés. Il faut réinventer une fiscalité qui canalise les énergies créatrices vers des finalités légitimes, tant vis à vis des intérêts particuliers que de l’intérêt général. Une telle fiscalité est une pièce maîtresse de la politique d’innovation, permettant un dépassement effectif des idéologies socialistes et libérales.
La “neutralité” économique, qui fit le succès de la TVA, est une idée solide, s’appuyant sur une logique saine. Les auteurs de cet impôt, devenu maintenant la principale source de rentrées fiscales européenne, avaient observé que, avec les anciennes taxes sur le chiffre d’affaire, les entreprises concentrées verticalement payaient au total moins que celles, plus petites, qui n’occupaient qu’une portion de la filière. Par exemple, si le cimentier et le constructeur étaient deux entreprises séparées, la livraison de ciment de l’un à l’autre était taxée. S’ils étaient dans la même entreprise, ni vu ni connu. Avec la TVA, l’un paye, mais l’autre récupère. Il y a donc neutralité par rapport à la concentration verticale. Mais cette logique simple ne prévaut pas sans effort. La bataille fut rude, d’abord en France, puis en Europe. Encore maintenant les Etats-Unis, qui ont une tradition de défense de la petite entreprise, mais des lobbies puissants au service des grosses, hésitent à l’adopter.
La Raison commande un principe directeur solide. Il faut restaurer la notion de contribution : ce qui contribue à la gestion de la planète. Chacun devra donc contribuer en fonction, non seulement des richesses qu’il produit, mais aussi des charges qu’il cause à la collectivité : consommations de ressources non renouvelables, émissions de gaz à effet de serre, pollutions, encombrements… De la sorte, les acteurs économiques seront incités à choisir les solutions techniques les meilleures pour la planète : économies d’énergie, technologies propres… et à moduler leur occupation de l’espace selon les encombrements qu’elle engendre. La formulation du “principe pollueur-payeur” est tout à fait cohérente avec cette conception. Les théoriciens le justifient en disant qu’il internalise les diséconomies externes. Autrement dit, il rend chacun fiscalement responsable, vis à vis de la collectivité, des gènes qu’occasionne son activité. Mais, là encore, cette logique simple et fondée a du mal à prévaloir, même à l’échelle européenne, alors qu’elle est destinée à s’imposer dans le monde entier. Elle trouve en face d’elle un édredon d’inerties et d’intérêts en place et une collection de mercenaires menant de peu glorieux combats d’arrière garde.
Le principe de contribution s’étend aussi bien au delà de sa formulation “pollueur-payeur”. Car il faut aussi dire où va l’argent de ces taxes. S’il se perd dans les nomenclatures illisibles d’un budget national régional ou municipal abscons, tout ce qui avait été gagné en clarté, en loyauté et en responsabilisation se trouve gâché par la caricature que constitue un “pot commun”, dernier refuge des phantasmes de pouvoir d’une bureaucratie d’esprit encore monarchique. Pour qu’il y ait vraiment contribution, il faut que le contribuable sache à quoi il contribue, et que cela soit dans un rapport clair avec l’assiette de la taxe. Le modèle est bien celui des Agences de Bassin françaises. Le pollueur paye en proportion de sa consommation d’eau et de ses rejets, et cet argent va à une agence, chargée de financer des investissements réduisant les consommations d’eau et les pollutions. La logique est bouclée. Le même industriel, d’un côté paye, de l’autre se fait aider dans ses achats d’équipements de propreté, qui lui permettront de diminuer ce qu’il paye. L’incitation est triple, et d’autant plus efficace que l’Agence ne reste pas inactive. Elle va le démarcher pour lui proposer de mieux faire.
Si l’on raisonne à l’échelle mondiale, comme c’est désormais nécessaire, de telles agences n’ont aucune raison de se limiter à un cadre national. Poussé à son terme, ce raisonnement mène à une fiscalité étagée. Elle comprend d’un côté des composantes géographiques : municipale, régionale, nationale et internationale ; de l’autre des composantes correspondant à des finalités clairement identifiées, autrement dit à des métiers de service public, tels que celui de la gestion des ressources en eau que nous venons d’évoquer.
On peut, à partir de ces prémices, poser quelques questions exemplaires : par exemple, l’aménagement des espaces naturels, autrement dit la transformation de la planète en jardin. Si l’on s’interroge attentivement sur la technique financière qui permettrait de rétribuer la fonction de jardinier qu’exerceront de plus en plus les agriculteurs, le parallèle avec les agences de bassin s’impose. Ce serait au moyen d’agences locales d’aménagement, alimentées par des taxes en rapport avec le poids des activités économiques sur l’espace naturel.
Autre exemple, qu’en est-il de l’éducation ? N’est-ce pas aussi un métier de service public, qui pourrait être financé par le canal d’agences, pour certaines au niveau local, pour d’autres au niveau mondial ? Ne ressent-on pas le besoin d’assouplir et de dynamiser ce métier là, de le placer dans des conditions telles qu’il regarde vers l’avenir ?
Dans ces conditions, l’exercice de la démocratie suppose que le contribuable puisse exercer des choix. Les professionnels du fisc (et des budgets publics) sont en général très réticents quand on évoque la possibilité que les particuliers ou les entreprises décident de l’affectation de leurs impôts. C’est pourtant une pratique de plus en plus répandue (taxes du type 1% formation), que les moyens informatiques modernes devraient grandement faciliter. Pourquoi ne pas permettre aux particuliers de financer par leurs impôts les opérateurs de service public non gouvernementaux (Amnesty, Greenpeace, Croix Rouge…) et aux entreprises de financer la recherche et la diffusion de la culture technique, en déduction de leur fiscalité. Ainsi, par une concurrence discrète mais réelle, la qualité et le dynamisme de ces services s’améliorera. En même temps, les contribuables auront la possibilité de prendre des décisions généreuses d’importance planétaire, et l’on pourra aussi mesurer, dans ces quasi-marchés, l’intérêt porté par le public aux différentes actions finançables. Dans cette perspective, le rôle des parlements et des administrations financières devra évoluer radicalement. Ce sera de moins en moins l’exercice du pouvoir à la place du contribuable, de plus en plus la définition d’un cadre lisible dans lequel le choix du contribuable pourra s’exercer.