Métrologie du quotidien

Métrologie du quotidien

Illustration : affiche pédagogique sur le Système métrique
honorée de souscription du Ministères de l’Instruction publique,
début 20e siècle

 

  • Le programme Métrologie du quotidien est constitué à ce jour d’un atelier-club animé par l’association Métrodiff en coopération avec Prospective 2100 et dirigé par Marie-Ange Cotteret.
    (Présentation provisoire)
  • Vidéos associées : programme Métrologie du quotidien sur TV 2100.

Rappel du texte fondateur de Prospective 2100 pour ce programme séculaire mondial

Chacun doit pouvoir évaluer, dans la vie quotidienne, l’état de sa santé et de son environnement. La métrologie vient aider la connaissance de soi et de la Nature, en lui fournissant des repères et des moyens de vérification. Il faut les instruments adéquats et portables pour mesurer la qualité de l’eau, de l’air, des aliments, l’état de son corps (auto-analyses), celle aussi des plantes et des animaux. De la sorte, la responsabilité de la vie sera répartie entre tous, chacun étant le gardien de son jardin et de lui-même. A plus grande échelle, il faut des réseaux mondiaux d’analyse, d’essais et de métrologie industrielle, de télé-surveillance de l’environnement par satellite, dont les résultats soient accessibles à tous. Il faut aussi établir un droit de chacun à l’information sur ce qu’il mange, ce qu’il respire, et tous les produits qu’on lui vend, et aussi à l’information sur l’information.

La mesure des choses est la base de la Science. À chaque grand progrès de la connaissance correspond une nouvelle génération d’instruments de mesure. Le microscope avait, il y a deux siècles, ouvert le spectacle des êtres unicellulaires, d’où la microbiologie pastorienne. Les grands accélérateurs de particules, au vingtième siècle, plus énergétiques, permettent de “voir” jusqu’en deçà de la dimension des molécules. Leurs résultats sont à l’origine d’une reconfiguration complète de la théorie de la matière, avec la “découverte” des mésons et des quarks. Soudain, les briques de l’univers, que l’on croyait tenir avec le noyau atomique, ses protons et ses neutrons, change d’ordre de grandeur. Pourquoi ? parce que l’on peut aller regarder plus finement dans la matière. Partout, il en est de même. Le passage de la microbiologie (Pasteur et ses microbes) à la biotechnologie est aussi un changement d’ordre de grandeur, rendu possible parce que les instruments de mesure ont pu voir -et intervenir- à un niveau plus fin, celui de la molécule organique, et non plus celui de la cellule. En médecine, l’échographie qui rend visible le développement du foetus dans le ventre de sa mère, le scanner qui donne des images colorées de l’intérieur de tout le corps humain font franchir des sauts qualitatifs dans la sûreté du diagnostic comme dans la précision de l’intervention. La mesure du climat par les satellites météo font progresser directement la sécurité des voyages et la gestion des agriculteurs.
La Science s’est surtout occupée de perfectionner les instruments des scientifiques. Restent ceux du public… L’introduction d’une mesure modifie le comportement, par un effet “weight watchers”. Elle positionne la vigilance, et induit un maintien. Le seul fait de mesurer son poids tous les jours -et d’en parler avec ses collègues- attire l’attention, fait passer dans le registre conscient des gestes inconscients, et, dans l’ensemble, aboutit à un meilleur contrôle de son propre poids. De même, la mise en place de mesures de pollution, même dans des zones peu éduquées, crée une vigilance, et engendre des efforts collectifs réduisant effectivement les dégâts causés à la Nature. Le constat en a été fait dans certains pays d’Afrique. Dans l’industrie, le repérage de tel indicateur de performance -un rendement, un taux de défaillance…- transforme les comportements et suscite, comme par enchantement, un mouvement pour l’améliorer.
Dans ce sens, on peut dire que l’esprit scientifique est porté par le fonctionnement social de la mesure. Or, la Science ne saurait se limiter à ce qui se fait dans les laboratoires. Sa nature profonde n’est pas d’être confisquée par la corporation des chercheurs. Elle est d’imprégner le fonctionnement de la connaissance dans toute la société, d’aider tous les humains à mieux se connaître, à connaître le monde, à sortir de l’état de superstition et d’obscurantisme où se trouve encore une grande partie de l’humanité. Ce n’est pas en répétant ce que dit la Science qu’on sort de l’ignorance. On ne fait que transférer la crédulité autrefois dévolue à la religion sur une autre cléricature : la blouse blanche au lieu de la soutane ! C’est en pratiquant par soi-même le mouvement d’objectivation du savoir qui fonde la démarche scientifique. C’est donc en mesurant au quotidien les éléments qui nous entourent, l’état de notre corps, tout ce qui nous concerne directement et sur quoi notre volonté particulière peut trouver à s’exercer. Or, que savons-nous de l’air que nous respirons, de l’eau que nous buvons, des graisses, des sucres et des alcools que nous ingérons, de l’effet sur notre mental des spectacles que nous regardons ? Bien peu de choses en vérité. Nous n’en sommes avertis qu’en cas de catastrophe, et laissons pour l’essentiel nos pulsions agir, vulnérables à tous les leurres qu’inventent les marchands. Tant de consommations fonctionnent comme des drogues, les dépendances ont pris une telle ampleur que nous avons du mal à nous avouer notre vulnérabilité !
La connaissance du corps a fait l’objet d’une tentative de confiscation par le corps médical. Longtemps, le malade ne disposa que du thermomètre et de la balance, deux instruments de mesure. On commence à voir arriver sur le marché des instruments d’autodiagnostic, et des publications apprenant au public à se soigner par lui-même. Demain, peut-être pourrons nous suivre en temps réel l’évolution de la température de tout le corps, avec ses endroits chauds et ses endroits froids, par la thermographie. Et aussi la composition de notre sang, ce qui nous permettrait de connaître les effets des différents aliments ; peut-être pourrons-nous aller jusqu’à mesurer les sécrétions d’endorphines dans notre cerveau, et avoir, par ce moyen, un retour d’information précis sur l’état de nos émotions, et le contrôle que nous avons sur elles…
La métrologie du quotidien est tout aussi essentielle au développement des sociétés pauvres. La technique moderne passe par l’angle droit -la mise au carré- et la précision des fabrications les plus simples. L’établi de menuisier est déjà avant tout le domaine de la géométrie cartésienne. On y “dresse” les planches, et la plupart des gestes concourent à rectifier des surfaces approximativement planes, des lignes approximativement droites et des pièces approximativement d’équerre. Le reste vient en supplément, comme un point d’orgue, une virtuosité s’épanouissant sur la base structurée d’une maille obstinément cubique. Dans une région pauvre, le garagiste, l’électricien, le réparateur de télé ne peuvent presque rien sans les instruments de mesure calés sur la précision des fabrications auxquelles ils ont affaire. Le développement commence par une mise à niveau technique de la mesure et des rectifications associées. Dans les industries de pointe aussi. En électronique, les fabricants de mémoires et de microprocesseurs, depuis le milieu des années 70 font la course à la gravure du silicium : 4 micron, puis 2, puis 1, et 0,2 d’ici la fin du siècle. Chaque année fait un pas vers la finesse et la complexité.
Le programme “métrologie du quotidien” vise à mettre la mesure au service de la micro initiative populaire. Du côté des usagers, il comprend les mesures et essais au service du consommateur (qualité, performances et toxicité des produits…) avec un réseau mondial de laboratoires d’essai, un enseignement de la mesure du quotidien, et une gamme d’instruments destinés au public. À cet égard, la qualité et la pertinence de l’information des usagers est le meilleur stimulant de la qualité du travail des producteurs. Du côté des industriels, il y a aussi besoin de moyens d’essai et de mesure, mais à finalité professionnelle. Par exemple, les fabricants du textile ont besoin d’un centre d’essai de matériel de filature et de tissage qui fournisse des informations objectivées sur les performances et la fiabilité des machines textiles. Et plus leur décision d’équipement sera étayée par des informations précises et justes, plus la qualité de leur travail sera élevée. Il en est de même pour toutes les professions.
Il faut aussi, en métrologie pure, si l’on peut dire, un réseau international de centres d’étalonnage et de “matériaux de référence”, qui permette d’assurer, sur toute la planète, la continuité et la cohérence entre les différentes entreprises. Si en effet le centimètre n’est pas tout à fait le même à Shanghaï et à Curitiba, il risque de se produire des incidents coûteux en temps et en argent quand les industriels chinois et brésiliens commenceront à travailler ensemble.
Ce programme “métrologie” est donc une infrastructure mondiale de service public, aussi nécessaire à la mondialisation de la technique moderne que les routes ou les aéroports. C’est surtout la possibilité de rendre le public vraiment libre par rapport aux producteurs, et d’en faire un arbitre compétent et juste de la concurrence. La compétition sportive s’appuie sur la mesure de plus en plus précise des performances, la compétition entre industriels devra le faire aussi.

Dans les sociétés modernes très spécialisées, le besoin de mesures s’est accru au point de toucher tous les métiers. Mais les individus se sont tellement bien habitués aux mesures qu’ils se sont laissés aller à prendre pour des mesures des évaluations qui n’en sont pas, les évaluations monétaires. En effet, la monnaie n’a pas les caractéristiques d’un étalon et le marché n’a pas celles d’un instrument de mesure, mais le public et les entreprises se sont laissés emporter par l’illusion qu’il s’agit d’une autre forme de métrologie. Il en résulte une destruction des ressources naturelles, l’anthropocène. Par rapport aux dangers de cette évolution, la métrologie apparaît comme un indispensable retour à la raison.

Au service de la prospective mondiale depuis 1991