Illustration : Alain Dupas et Gilles Raguin racontent les nouvelles approches de la NASA pour l’orbite basse. Prospective 2100-3AF, CNES, Paris, 24 janvier 2013.
Photo Dom Lacroix, Panamo.eu.
- Le programme Programme spatial mondial est constitué à ce jour de deux ateliers :
– l’un, présidé par Alain Dupas, est une chronique spatiale mondiale
– l’autre, Apogeios, dirigé par Pierre Marx et Olivier Boisard.
(présentation provisoire)
- Vidéos associées : programme Programme spatial mondial sur TV 2100
Rappel du texte fondateur de Prospective 2100 pour ce programme séculaire mondial
Chaque activité dans l’Espace élargit la conscience, offrant une vision nouvelle de ce qui se passe sur terre. Vues de là haut, les frontières paraissent dérisoires, la Nature fragile et les grands équipements insuffisants. Techniquement, l’Espace est un grand miroir de la terre. Il réfléchit les communications et renvoie l’image de l’état de la Planète (météo, couverture végétale, pollutions). Demain, il s’agira aussi de rendre possible la vie dans le Cosmos, indépendamment de la présence d’une planète accueillante telle que la Terre.
D’où la construction de modèles réduits, les “biosphères”, écosystèmes complets en équilibre. La vie dans l’Espace sera l’aboutissement de toute une séquence technologique : l’avion spatial, l’utilisation de matériaux issus de l’Espace (Lune ou ceinture d’astéroïdes) les centrales solaires spatiales, enfin des planètes creuses artificielles avec des biosphères embarquées, telles que les avait imaginées le physicien Gérard O’Neill ou mieux le projet Apogeios de Pierre Marx et Olivier Boisard.
La présence de l’homme dans l’Espace est récente. Elle s’est déclenchée dans un esprit de compétition entre les “blocs”, à une époque révolue. Après la période héroïque, les Européens, avec Ariane, ont cherché la rentabilité. l’Espace est devenu un domaine pour les robots, et sert de miroir à la terre. Il réfléchit les ondes téléphoniques, répand les messages télévisés, surveille la météo, l’état des cultures, des forêts, de la pollution, ainsi que les mouvements de troupes. Toutes ces fonctions sont celles d’un miroir. Elles existent, mais n’ont pas encore atteint leur plein développement.
La première étape du programme spatial est indiscutablement de renforcer cet effet miroir, porteur de conscience. Car, à mesure que les images de la terre seront connues et divulguées, l’esprit des terriens s’élargira sans effort à une perspective planétaire. Il suffit de voir la manière dont on parle du temps qu’il fait. Entre le vieux sage du village qui prédisait d’après ses rhumatismes, et la photo satellite tous les soirs sur le petit écran, un changement radical de perspective s’est insensiblement accompli. Le regard de l’Homme s’est élevé. Il voit depuis l’orbite, et avec un angle combien plus large, ce qu’il ne pouvait que deviner au raz de terre. Il en sera de même quand les images de la Nature et de l’Agriculture seront, en temps réel, mises sous les yeux du public. Le fait d’appartenir à une totalité, et de ne pouvoir sans dommage pour tous, évacuer les déchets dans un au-delà, une décharge lointaine, sorte de lieu d’oubli volontaire, sera accepté à mesure que les pollutions seront montrées au public. Le miroir enclenche, par sa seule présence, un élargissement de conscience.
La seconde étape de l’aventure spatiale est plus technique. Elle consiste à industrialiser à partir de l’Espace même, de manière à donner leur autonomie aux activités qui s’y développent. C’est, concrètement, une succession de réalisations qui, chacune prise séparément, peuvent paraître contingentes ou discutables, mais qui, prises dans leur ensemble, forment un tout consistant.
L’avion spatial : après la fusée, l’avion diviserait par 40 le coût de la mise en orbite d’un kilo de matériel (actuellement, environ 70KF). On peut alors organiser des aller et retour entre la terre et des orbites basses, où tourneront des stations permanentes, à des prix qui deviennent abordables aux particuliers. L’organisation de bases de loisir spatiales devient réalisable. La gravité réduite donne lieu à l’invention d’une gamme de sports nouveaux. Les premiers jeux olympiques spatiaux en 2050 sont un point clef du programme. Ils associent le public à l’extraordinaire effort de dépassement que sont à la fois les jeux et la présence de l’Homme dans l’Espace.
L’installation de bases industrielles sur la Lune : réservoir de matériaux de toute nature, n’ayant pas d’atmosphère, et ne présentant qu’une gravité réduite, la Lune est la mine du futur. on peut en extraire de tout, y compris de quoi reconstituer de l’air et de l’eau, et expédier par catapulte électromagnétique les matières destinées aux diverses constructions du programme. Il faut vingt fois moins d’énergie pour arracher un kilo à l’attraction lunaire qu’à l’attraction terrestre, et le catapultage dans le vide est évidemment beaucoup moins coûteux que la propulsion par fusée, ou même par avion.
Les stations solaires spatiales : le programme doit prévoir des étapes de rentabilisation, permettant de souffler financièrement, et de convaincre les esprits réticents de poursuivre l’effort. La première est celle du “miroir”, la seconde celle de l’énergie. En quoi consiste-t-elle ? Avec des panneaux solaires de plusieurs kilomètres de large, on capte le rayonnement avant qu’il ait été absorbé par l’atmosphère, on le transforme en un faisceau de micro-ondes, dirigé sur une grande antenne de réception au sol. Là, l’énergie est convertie et distribuée dans le réseau d’électricité. Un capteur suffit pour une ville de plusieurs centaines de milliers d’habitants. On peut aussi combiner l’idée de la transmission de puissance par micro ondes et celle du miroir : une grande centrale terrestre (par exemple un barrage isolé dans l’Himalaya ou les Andes) envoie un faisceau sur un miroir spatial, qui le réfléchit vers une station de réception terrestre voisine d’un centre de consommation. Dès lors que l’on saura transmettre sans fil des courants forts, comme on sait le faire pour les courants faibles (la télévision et le téléphone), les mêmes configurations de faisceaux hertziens pourront être construites, soit près du sol (d’une colline à l’autre), soit par des satellites relais. Les premières expériences projetées, en Alaska et au Japon, portent, comme on peut s’y attendre, sur l’alimentation électrique d’installations d’accès difficile, telles que des phares ou des refuges isolés. Par rapport au programme d’industrialisation de l’Espace, les centrales solaires spatiales présentent un double intérêt. Elles contribuent à l’approvisionnement en énergie, donc soulagent un problème terrestre encore mal résolu. D’autre part, elles constituent un excellent défi technique. Construites en partie avec des matériaux tirés de la Lune ou des astéroïdes, ce sont les premières structures de grande dimension en orbite, où seront mise à l’épreuve la capacité des ingénieurs à maintenir en fonctionnement, et en position des systèmes complexes.
La vie dans l’Espace : après avoir envoyé toute une panoplie de robots, pour effectuer des tâches de service terrestre, il va bien falloir poser la question de la Vie dans l’Espace, non seulement pour l’Homme, mais aussi, nécessairement, pour tout un écosystème qui lui serait associé. À cet égard, la plupart des nouvelles et des films de Science Fiction ne résistent pas à l’analyse. Dans 2001 ou dans “La guerre des étoiles”, par exemple, on voit des vaisseaux spatiaux dont l’aménagement intérieur ressemble à celui d’un immeuble de bureau de la seconde moitié du vingtième siècle. Ce sont là phantasmes de bureaucrates. Si l’Homme veut rester durablement dans l’Espace, il lui faut emmener avec lui un morceau de Nature. Il a en effet besoin de recycler l’eau, l’air, les déchets. Il doit s’intégrer dans un écosystème complet. Depuis plusieurs milliers d’années, les intellectuels, toujours prompts à considérer l’Espèce humaine (voire même leur propre ethnie) comme le nombril du monde, se sont efforcés de la placer au dessus des autres et de la Nature en général. Les considérations pratiques et concrètes que l’on est bien obligé de poser quand on veut anticiper la vie dans l’Espace ramènent à plus de modestie et de réalisme. L’Homme est une partie de la Nature, dont il est étroitement solidaire. Il ne peut se passer d’elle, du moins à échéance prévisible. D’où l’importance des expériences du type “Biosphère 2”, qui visent à stabiliser, non plus un engin mécanique, mais un écosystème complet, ce qui est beaucoup plus difficile. Nous avons des expériences d’intervention sur des êtres vivants, dans des circonstances bien définies et contrôlées, et “toutes choses restant égales par ailleurs”. Nous n’avons pratiquement aucune expérience au sujet de l’équilibre et des déséquilibres des écosystèmes, où interviennent des milliers de variables entremêlées. Stabiliser un complexe vivant autonome est donc l’étape de la réalisation de la techno nature qui se présente maintenant devant nous. C’est une prise de responsabilité de gardien de la vie, un modèle réduit de la préservation de l’écosystème terrestre.
En réactivant le mythe de la terre mère Gaïa, on propose une dernière et immense divinité supra humaine dont le respect est étayé par l’absurde : si les hommes ne sont pas assez raisonnables pour modérer leurs déprédations, alors Gaïa reprendra ses droits. Il y a eu des milliers d’espèces avant nous, il y en aura des milliers après. Même si nous ne survivons pas, la vie va continuer. Selon cette vision, l’Humanité serait un délinquant, menacé de mort par une déesse mère indifférente et éternelle. L’idée que l’Espèce prend des risques excessifs avec son développement technologique est juste, mais pourquoi l’interpréter en termes de soumission par rapport à la Nature, alors qu’il s’agit au contraire d’en devenir le gardien, le chef d’orchestre, l’ingénieur et l’architecte. La Nature est déjà, de fait, sous notre protection. Les biosciences (et les sciences cognitives) sont appelées à jouer le rôle central pour la technique du 21ème siècle, succédant à la mécanique et à la chimie de la révolution industrielle.
Les planètes creuses artificielles : émise dès les années 70, l’idée des planètes creuses artificielles semble bien désormais le point de passage obligé de toute prospective spatiale à long terme. Pourquoi ? Parce que la présence de la Vie, et non plus de l’Homme tout seul, dans l’Espace s’accomplit lorsque son autonomie et sa reproduction sont de nouveau assurées, et deviennent -relativement- indépendantes de la présence d’une planète accueillante telle que la Terre, située à la bonne distance de la bonne étoile, avec la composition chimique adéquate. Si donc nous arrivons à la fois à traiter des matériaux dans l’Espace pour l’Espace, en prélevant sur n’importe quel astéroïde passant à portée, et si nous sommes aussi capables d’être les bergers d’écosystèmes, nous pouvons prétendre construire des planètes creuses autonomes, et partir vers d’autres systèmes solaires. Alors, non seulement l’Humanité est en mesure de survivre à sa planète natale, mais elle devient le messager de la Vie à travers les étoiles.
Ainsi, après des programmes nationaux, le temps est venu d’une concertation, puis d’un grand programme spatial mondial, sur la voie de l’accomplissement de la techno nature, nouvelle étape de la Vie. On objectera le coût, les délais, l’urgence des souffrances terrestres, dont le soulagement serait plus prioritaire, auquel il faudrait donc consacrer les financements, avant que de s’occuper de l’Espace. Ce sont là des sentiments légitimes, mais qui omettent la valeur de pionnier de l’espèce humaine. Prendre les crédits du spatial pour les consacrer à la lutte contre la pauvreté ou la maladie est apparemment inattaquable. Apparemment seulement, car si des recherches de pointe ne sont pas financées, si des défis techniques ne sont pas relevés, c’est toute l’humanité qui se trouve diminuée. Quand l’Homme a mis le pied sur la Lune, l’Aborigène australien, du fond de son désert, dans son total dénuement, a su que quelque chose s’était passé.
Et quand, quelques années plus tard, on a repéré une catastrophe aérienne par satellite, quand on a repéré les zones d’Afrique où la famine allait s’abattre, personne ne se souvenait plus du lien avec l’exploit apparemment inutile, de celui qui marchait sur la Lune. Ceux qui s’obstinent à ne voir que les résultats immédiats se donnent bonne conscience à peu de frais. Ce sont des dévots de l’humanisme, mais sont-ils toujours les meilleurs serviteurs de l’humanité ?