Prospective, le mot et la chose

État des réflexions suggérées par la présélection de thèses au stade fin juin 2018

Notre échantillon est de taille trop restreinte pour se prêter à une analyse statistique. En revanche, il nous a inspiré des remarques qualitatives et nous offre un support pour expliciter nos critères d’excellence et notre politique de sélection.

Définition de la prospective recherchée

Le type de prospective que recherche la Fondation 2100 dans sa sélection de thèses consiste en anticipation de long terme à objet ou portée globale. Ce ne sont pas forcément des travaux de prospective au sens le plus exigent, mais cela peut être des travaux qui contribuent à la prospective.

A/ Présélection en deux parties

Partie automatique :

Comme prévu, nous avons examiné les thèses soutenues entre 2013 et juin 2018 qui contiennent le terme prospective au moins une fois dans les métadonnées, résumé inclus.

Nous avons obtenu 74 thèses sur 60 949, soit 1,2 thèse pour mille.

Le nom « prospective » nous sert de marqueur, mais il ne se confond pas avec la chose. Le terme connaît des emplois triviaux dans la langue et les prospectivistes ne sauraient en détenir le monopole d’usage. La présence du terme « prospective » est une condition nécessaire mais pas suffisante.

Partie humaine :

Sur cet échantillon de 74 thèses, nous avons opéré une sélection humaine par lecture des résumés, et souvent, pour les thèses disponibles en ligne, examen du sommaire, de l’introduction, de la conclusion et des références. Cela nous a amenés à réduire l’échantillon selon le critère de pertinence par rapport à notre définition de la prospective recherchée.

Le filtre automatique puis notre réduction humaine ont permis d’obtenir la présélection présentée dans un livret imprimé, à diffusion restreinte et à usage interne, pour les participants aux préparatifs du prix : il comprend les descriptifs, extraits du site theses.fr, de 12 thèses disponibles en ligne et 9 thèses dont nous n’avons que les métadonnées.

Soit une présélection de 21 thèses.
Jusqu’à octobre 2018, nous allons, pour compléter notre démarche, consulter des directeurs de recherche

et des experts pour les inviter à nous signaler d’éventuelles thèses qui auraient échappé à nos filtres.

En parallèle, nous allons continuer à explorer theses.fr et Hal en interrogeant la présence dans les métadonnées d’expressions, autres que le terme « prospective », souvent associées aux démarches prospectives. Cela nous permettra de répondre à la question : existe-t-il beaucoup de thèses pertinentes pour la prospective mondiale de long terme qui n’utiliseraient pas le terme « prospective » dans les métadonnées (y compris le résumé) ? Par exemple, nous chercherons à cerner la nature des thèses qui comportent en métadonnée les expressions « développement durable » et « scénario(s) » mais pas « prospective ».

Autrement dit, la présence du terme «prospective» dans les métadonnées peut-elle être une condition absolument nécessaire dans notre politique de sélection ? Certaines choses sont-elles de la prospective sans en porter le nom ?

Selon les résultats, de nouvelles thèses détectées pourront être incluses dans notre processus de présélection. Mais nous pourrons aussi choisir de définir l’utilisation par l’auteur de la thèse du mot « prospective » en métadonnée comme un critère de sélection, dans le cadre de notre politique de promotion de la discipline.

B/ Variété des 21 thèses présélectionnées

Les disciplines indiquées sont très variées. Cela ne facilite pas leur repérage. Mais cette richesse est très intéressante.

Eaux continentales et société — Économie de l’environnement — Économie et finances — Énergétique et procédés — Études arabes — Géographie — Histoire — Philosophie — Science politique — Sciences de gestion — Sciences économiques — Sciences et technologies industrielles — Sciences pour l’ingénieur — Sociologie

La variété aussi se constate dans les origines géographiques et institutionnelles des thèses : Belfort-Montbéliard, Caen, Lyon, Montpellier, Paris, Rennes, Strasbourg etc. Universités, ENS, EHESS, ENSMP, IEP etc.

Force est de constater que la seule chaire universitaire française de prospective (CNAM) a une thèse en préparation, mais pas de thèses soutenues dans les cinq dernières années.

C/ Flou taxonomique

1. Divergences theses.fr vs Hal

Les deux bases de données theses.fr et Hal étiquettent une même thèse avec deux libellés différents pour la discipline. Par exemple :
Énergie électrique (Hal) vs Énergétique et procédés (theses.fr)
Contrôle, optimisation, prospective (theses.fr) vs Économie et finances (Hal)

2. Discipline et domaine

Le terme « prospective » peut apparaître en mot-clé, mais aussi dans le descripteur « domaine ». Il apparaît dans le champ « discipline », sans qu’apparaisse clairement le distinguo entre ces deux métadonnées. Une petite enquête auprès des gestionnaires des bases de données et auprès des autorités académiques, notamment sur les procédures de mise en ligne, pourra utilement préciser notre compréhension du tableau.

L’absence du terme « prospective » pose des problèmes de référencement et de visibilité, largement dus à la transformation numérique, mais aussi au caractère pluridisciplinaire de l’activité prospective et à sa relative jeunesse, surtout dans le secteur académique.

Pourquoi tenons-nous au label « prospective » ?

Pour mémoire, rappelons que cette question catégorielle n’est pas inspirée par des querelles d’écoles mais s’inscrit dans une période où se joue sans doute le devenir de l’humanité : les changements prévisibles du 21e siècle sont considérables (communication et écologie) et doivent absolument être anticipés. Il s’agit d’une question d’intérêt général, et même planétaire.

Il ne s’agit pas de créer un nouveau silo qui serait la discipline « prospective » où devraient se soutenir toutes les thèses intéressant la prospective. Au contraire, qu’elles viennent aussi d’autres disciplines est fructueux. Mais on devrait pouvoir aussi soutenir une thèse de prospective et on doit enseigner la prospective dans les universités françaises.

La transformation numérique fait que les thèses sont destinées à être quasiment toutes publiées sur Internet et référencées dans de grandes banques de ressources en ligne (type Istex). La catégorisation devient un enjeu stratégique qui conditionne l’existence dans le cyberespace. Sans catégorie « prospective » affirmée, les travaux concernés seront moins visibles. La prospective française ou francophone peut être inaudible par rapport aux travaux de « foresight » ou de « futures studies ». Sur le plan proprement académique, il s’agit :

1/ de promouvoir, à une époque de flou sémiologique où d’incroyables manipulations sont possibles (IA), trois traits propres à un domaine disciplinaire :

– la capitalisation de connaissances permise par l’inscription dans l’histoire de la discipline,

– la rigueur méthodologique alliée à la créativité, ce qui, pour la prospective de la Fondation 2100, inclut une démarche pluridisciplinaire, une prise en compte des interactions sciences-techniques-société, une réflexion sur l’homme partie prenante de la nature, une stimulation de l’imaginaire et un appel à la diversité culturelle.

– la reconnaissance par les pairs.
Ces traits s’ajoutent bien sûr à celui de compatibilité avec l’état des sciences qui est déjà attesté par la validation académique en tant que thèse.

2/ de contribuer à créer des circuits de financement et des débouchés professionnels dans une activité d’intérêt général majeur.

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